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arts compte rendu

Paradise Kortrijk: la triennale d’art contemporain de Courtrai

9 juillet 2021 5 min. temps de lecture

À Courtrai en Belgique, la seconde triennale d’art contemporain intitulée Paradise Kortrijk se tient depuis le 26 juin et jusqu’au 24 octobre 2021. Plus d’une trentaine d’installations, disposées aussi bien en intérieur qu’en plein air, ont été réalisées par trente-deux artistes internationaux, dont neuf belges. Le parcours urbain est organisé par le duo de curateurs Hilde Teerlinck et Patrick Ronse.

Play, la première édition, avait rassemblé en 2018 plus de 175 000 visiteurs. Un véritable succès sur lequel mise à nouveau la ville de Courtrai. Cette seconde triennale a été pensée dans le tumulte du Corona. «L’arrivée du Covid a laissé un monde où l’atmosphère semble à mille lieues de l’espoir et de l’optimisme», confie Hilde Teerlinck (aussi en charge du pavillon belge de la prochaine Biennale de Venise). C’est de ce constat qu’est née l’idée de demander à chaque participant de la triennale ce que serait leur vision du paradis.

L’humain et la nature

Sur la pelouse du Houtmarkt, l’artiste belge Stief Desmet a installé une gigantesque boussole en brique, percée de quatre ouvertures (signifiant les quatre points cardinaux) nous permettant d’entrer au sein de l’œuvre. À l’intérieur, un chêne, disposé sur un système pivotant, invite le visiteur à faire tourner l’arbre à loisir. L’installation, intitulée Kompas, est une métaphore du paradis et de notre boussole individuelle intérieure, en quête de la bonne direction à prendre.

La scène du théâtre de Courtrai, décorée par La Forêt asiatique (un décor datant de 1921) du scénographe Albert Dubosq, qui reproduit un paysage foisonnant et enchanteur, accueille l’installation Forêt océanique de la jeune Allemande Sarah Westphal. Dans une obscurité quasi totale, l’installation est une projection fascinante, entre ombre et lumière, formes reconnaissables et abstraites, d’une sorte de danse exécutée par des pieuvres géantes. Le tout dans une mise en scène au parfum de réalisme magique. Un paradis sous-marin qui montre la puissance de la nature sur l’homme.

Avec sa création sur la Grand-Place (Grote Markt), l’artiste coréen Choi Jeong Hwa (en collaboration avec l’entreprise belge Moderna) propose une superposition de litières de chats, qui seront ensuite recyclées et transformées en accessoires raffinés pour animaux de compagnie. L’objectif pour cet artiste atypique avec Happy Together? Mettre en avant le plastique comme une matière pouvant avoir une seconde vie.

Du quotidien et du ludique

Dans une salle du parc du Béguinage (Begijnhofpark), l’artiste suédois Jacob Dahlgren a disposé plusieurs centaines de pèse-personnes se transformant en un tapis de jeu aux formes géométriques sur lequel les visiteurs peuvent marcher à souhait. Heaven is a place on earth propose une interaction entre le corps et l’objet de tous les jours, révélatrice de la face cachée de la beauté au quotidien.

C’est dans le centre commercial Winkelcentrum K que nous découvrons avec stupéfaction l’installation textile gigantesque et tridimensionnelle Harmonic Motion II, constituée de mailles et de nœuds aux couleurs flamboyantes, de la grande artiste japonaise Toshiko Horiuchi MacAdam. Pour cette représentante majeure du Fiber art, il est capital que ses œuvres vivent en interaction avec l’être humain. Au sein de cette structure massive, des ouvertures permettent aux plus petits de se faufiler à l’intérieur pour y jouer. Ils peuvent se balancer sur de gros ballons de tissus moelleux ou rebondir autant qu’ils le souhaitent sur ce drôle de trampoline.

Les enfants sont aussi mis à l’honneur par l’artiste suisse Ugo Rondinone. Your age and my age and the age of the rainbow est le fruit d’une collaboration avec une centaine d’élèves d’écoles et d’associations des environs de Courtrai, dont les dessins d’arc-en-ciel sont exposés au cœur du parc du Béguinage (Begijnhofpark). Véritables leitmotiv dans l’univers de l’artiste, d’autres arc-en-ciel se retrouvent aussi sous la forme d’immenses néons aux couleurs psychédéliques, installés en haut de la tour Buda et de la résidence Budalys (Cry me a river, 1997; Long last happy, 2020).

Une vision plus tourmentée

Dans les tours du Broel, deux artistes nous livrent chacun leur poignante réalité. La vidéo Bow Echo de l’Afghan Aziz Harara montre l’impuissance de la communauté internationale à mettre fin aux violences des guerres qui sévissent dans son pays depuis des temps immémoriaux. Cinq petits garçons, chacun perché au bord d’un précipice, tentent malgré un vent de tous les diables, de nous alerter sur la situation inhumaine de leur quotidien en soufflant dans une trompette de fortune. Le jeune vidéaste raconte que le paradis serait de pouvoir simplement marcher librement sans craindre pour sa vie.

Pour faire écho aux plaies provoquées par les diverses colonisations, la Sud-Africaine Lhola Amira crée des espaces poétiques faisant appel à la spiritualité ancestrale. Des rideaux de perles colorées pendent au-dessus d’un lit de sel. Philisa: Ditaola est une installation empreinte de méditation et de spiritualité pour tenter une guérison, voire un pardon.

C’est une sculpture saisissante, à taille humaine et hyperréaliste, que présente l’immense Berlinde de Bruyckere au musée Texture. Deux personnages nus penchés l’un vers l’autre sont cachés sous une couverture, ne laissant voir que leurs jambes. La dichotomie que dégage cette œuvre, entre l’aspect réconfortant et étouffant, le visible et l’invisible, est caractéristique du travail intrigant de l’artiste belge.

Dans les peintures de Sanam Khatibi, exposées aussi au musée Texture, les paysages inquiétants et magnétiques tout en clair-obscur, dégagent une sensation de fin du monde. Dans un jardin d’Éden inversé, teinté d’un bleu post-apocalyptique, But I want to swallow you laissent voir des amazones qui s’adonnent aux plaisirs de la chair avec des créatures hybrides et bestiales.

Enfin, sur la pelouse de la place Mandela, un navire à taille réelle, s’est échoué sur la terre ferme. Avec The Ship of Fools – Kling Floep Klang Gloep Sloep, l’artiste belge Joris Van de Moortel fait ici un lien entre le passé et le présent, à la manière d’un pèlerinage transhistorique qui symboliserait un monde à l’envers.

Une particularité de cette triennale d’art contemporain: Paradise Kortrijk repousse les limites en présentant des œuvres qui sortent de la définition étroite de l’art, comme celles du duo de designers Viktor&Rolf, du scénographe Albert Dubosq et du chorégraphe William Forsythe, entre autres. D’une grande qualité, cette deuxième édition de la triennale est à découvrir absolument.

Paradise Kortrijk se tient jusqu’au 24 octobre 2021.

Mélanie Huchet c Haleh Chinikar

Mélanie Huchet

journaliste - critique d'art

photo © Haleh Chinikar

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